Le conflit syrien a commencé, il y a 6 ans. D’une simple révolution, on est passé à une guerre civile, où de nombreux acteurs étrangers se sont engagés. Ce drame a fait plus 320 000 morts et 5 millions de réfugiés. L’ONG Syria Charity m’a accordé un entretien pour m’expliquer leurs actions qu’ils entreprennent sur place, et essayer de comprendre une situation plus complexe qu’elle en a l’air…

Jack : Salam aleykoum, peux-tu te présenter ainsi que ton association ?​

 

​Sarah : ‘Aleykoum salam, je m’appelle Sarah Benchekroun, je suis coordinatrice de projet, spécialisée dans le bénévolat et partenariat chez Syria Charity. C’est une association loi 1901 qui a été créée en décembre 2011, peu après les événements en Syrie, et qui a pour but de venir en aide à la population victime de la guerre directement en Syrie. L’association a été créée par des ingénieurs, médecins syriens de France. Au début, certains d’entre eux sont allés former du personnel médical sur place. Aujourd’hui, nous avons nos propres équipes là-bas. Nous n’envoyons aucune personne sur place, malgré de la demande des bénévoles, car il faut une réelle connaissance du terrain pour pouvoir agir, au vu des dangers encourus, et pour une réelle efficacité dans les actions.

Sarah Benchekroun, coordinatrice de projet.

La situation politique n’a fait qu’évoluer, comment arrivez-vous à bien faire votre travail sans prendre parti ?

Le tout dans l’humanitaire, c’est de ne pas se positionner dans un sens ou dans un autre. Il y a toujours eu ces questions dans l’humanitaire : se positionner, ou pas, condamner, ou pas…

« Après, est-ce que condamner, c’est prendre position ? »

​Nous, on se contente de condamner qui que ce soit qui mène des actions contre les civils en Syrie : que ce soit le gouvernement, les rebelles, la coalition internationale, les Turques, les Kurdes… Prendre parti serait peut-être de condamner que si l’on dénonçait qu’un parti, nous, on essaye de dénoncer toutes les exactions peu importent d’où elles viennent. On essaie d’être un relais de la situation sur place, mais en tant qu’acteur humanitaire, on se distance de ce qui se passe sur le plan politique.

Est-ce qu’il y a des endroits où il vous est impossible d’intervenir ?

On ne va pas être dans la zone contrôlée par DAESH, à Raqqa. On a eu un membre qui a été tué par un membre de DAESH, il y a 2 ans, exécuté parce qu’il était humanitaire. En tout, on a eu 7 membres décédés depuis le début du conflit. La dernière personne tuée était une femme, responsable des parrainages d’orphelins d’Alep, un missile a visé directement sa maison. On essaye de faire prendre le moins de risque avec nos humanitaires sur place, et le fait d’avoir du personnel connaisseur du terrain « minimise » les risques.

Le pouvoir de Bachard  el-Assad et une partie de la population ne voient-ils dans vos actions une forme d’ingérence ?​

Justement non, car nos actions sont menées par des Syriens sur place. On aurait pu le croire si les actions étaient menées par des humanitaires de France, ce qui n’est pas le cas.

​Malgré que beaucoup font des dons pour la cause syrienne, on a l’impression que cela ne suscite pas tant d’adhésion de la part des musulmans, ou, par exemple, un mort palestinien va indigner autant que 100 morts syriens…

Si l’on prend, par exemple, par rapport au conflit israélo-palestinien, ce conflit dure depuis plus 60 ans, c’est une cause que se sont appropriée les musulmans, sans forcément parfois comprendre ce qui se passe là-bas. Je suis musulman, donc, je défends la Palestine, je fais comme tout le monde.

​Pour la Syrie, nous sommes aussi beaucoup tributaires du traitement médiatique. On a vu avec le blocus à Alep, on a eu une forte affluence, que ce soient des questions pour savoir ce qu’il s’y passe, dans les dons qui affluaient ainsi que pour les demandes de bénévolats. On a eu un surtraitement médiatique de la Syrie. C’est la période où les médias en ont le plus parlé et cela a duré 6 mois. On a vu clairement la différence, car les gens voyaient à la télévision ce qu’ils se passaient, les infos étaient relayées sur les réseaux sociaux…

« Quand le gouvernement a repris Alep, du jour au lendemain plus rien ! Des personnes nous ont même appelées pour nous demander si la guerre était finie en Syrie ! » 

C’est impressionnant de voir à quel point l’impact médiatique influence sur les gens.

Il y a beaucoup de choses qui se disent sur ce conflit, avec des partisans de chaque côté, sous fond de complotisme, au point de diviser les musulmans. Est-ce que ce manque de clarté impact vos actions ?

Très clairement oui ! On le voit surtout sur les réseaux sociaux. Il ne faut pas oublier que toute guerre a sa propagande. Dans le cadre du conflit syrien, c’est très impressionnant. Quand on voit concrètement les choses, il y a des groupes de personnes qui se liguent contre notre page Facebook, ils ne vont ne mettre que des fausses informations, des montages photos. Nous sommes obligés de tout relayer à notre avocat pour qu’il puisse avoir plainte pour diffamation. Etant donné qu’on va aider tout le monde, que ce soient les civils dans une zone contrôlée par le régime ou les rebelles, et que, nécessairement, on aille aider des personnes qui ne sont pas du côté du gouvernement, ils vont croire que l’on est contre eux. Si tu n’es pas avec moi tu es contre moi. Il suffit qu’une personne lambda arrive sur notre page et voie que des commentaires du type, « vous êtes pour ceci, vous êtes contre cela, vous faites-ci… », cela créée de la confusion.

C’est pour cela qu’il faut aller se renseigner directement, allez demander ​les preuves, allez demander les comptes qui sont certifiés, allez demander ce que vous faites avec votre argent, quels sont vos projets… ? En fait, demandez plus de détails aux personnes en tant que telles, et après, peut-être juger par soi-même. 

On ne peut pas que n’écouter qu’une personne dans un contexte de guerre, sachant qu’il y a énormément de propagande aujourd’hui. Les personnes qui vont sur Facebook ne vérifient pas forcément leurs sources. D’abord, vérifié vos sources, et après on discute.

« Sous le régime d’Hitler, il y avait aussi de la propagande, et quand on étudie l’histoire, on se dit, comment on a pu se faire bern​er. Aujourd’hui en Syrie, on y est. La propagande est le critère typique des régimes autoritaires. »

Il faut prendre du recul sur la situation politique en tant qu’humanitaire et humain tout simplement. Regardons, comment nous, on regardaient les conflits de l’époque, comment il se faisait avoir, comment il ne faisait pas attention aux civils… On se rend compte qu’on n’apprend pas assez les leçons de l’histoire, et qui se répète.

Comment expliquez-vous que DAESH est devenue la priorité à combattre ?

L’Occident va combattre ceux qui les impactent, et forcément avec les attentats… Il y a eu un moment de flottement, c’est mieux Bachard el-Assad que DAECH, on le garde… On doit choisir entre la peste et le choléra ! C’est triste d’en arriver là, car l’un n’est pas mieux que l’autre, et ce n’est parce que l’un est au pouvoir depuis le début du conflit qu’il a la légitimité pour l’incarner, surtout au vu du carnages qu’il a commis… Un attentat en France ou aux Etats-Unis n’est pas plus pire qu’un attentat en Syrie. Une vie syrienne vaut pareille qu’une vie occidentale, on a tendance à l’oublier.

Il y a un afflux inédit de réfugiés, est-ce que vous faites un travail pédagogique sur place, pour leur dire que si vous venez en Europe, cela ne va pas être ce que vous imaginez ?

On a toujours eu pour but de permettre aux Syriens de rester chez eux, s’il le souhaite. D’un, le personnel humanitaire et médical est de plus en plus rare sur place. Toutes les grosses ONG sur le terrain ont fini par partir, il y a eu Médecin Sans Frontières qui a eu son hôpital bombardé, en même temps que le nôtre. La sécurité de leur personnel passe avant tout, ce qui est logique. La Syrie est le pays des Syriens, il ne faut pas qu’il se vide. Après ceux qui veulent partir, libre à eux, c’est leur choix, mais ceux qu’ils veulent rester et veulent de l’aide, on est là pour eux.

Quels sont les actions que vous compter développer sur place ?

Continuer sur les actions déjà mises en place : le parrainage d’orphelins, pratiquement 6 000 enfants parrainés en Syrie. Dans l’aide médicale, nous avons aussi notre propre hôpital Mère-Enfant, spécialisée gynécologie, pédiatrie, pour permettre aux femmes d’accoucher dignement. L’aide alimentaire aussi, comme en ce moment pour ce mois de ramadan avec les iftars. On apporte un suivi pour toutes nos actions afin d’apporter de la confiance. On fait un gros travail de médias logistiques depuis le début de nos actions. Comme pour l’Aïd où l’on envoie une photo à chaque donateur de son mouton offert aux Syriens. Cela les rassure, et il y a aussi un côté éducatif à montrer à ses enfants, comment faire le bien.

 

Syria Charity est totalement transparent au niveau de la chaîne de don de la France jusqu’en Syrie, sans aucun intermédiaire. Les personnes qui distribuent les dons sont de Syria Charity, et aussi les acheminements de convois via nos propres bureaux en Turquie. 

Sarah Benchekroun  

Dans les locaux de Syria Charity…

Sarah : « ici, nous trions la marchandise. Il faut savoir qu’envoyer un container par le port du Havre nous revient à 8 000 €. De ce fait, nous privilégions du matériel médical, et des produits chers là-bas comme le lait infantile. Nous refusons de la marchandise comme des vêtements usagés qui ne vaut pas le coup et facilement trouvable en Turquie, il faut l’expliquer aux donateurs afin qu’ils comprennent les raisons de nos refus. »

« Ici, du matériel médical offert par un hôpital, prêt à être expédié. »

« Il y aussi d’autres associations qui collectent des dons et que l’on se charge d’envoyer. »

Jack : Barakallahoufik pour cet entretien.

Sarah : wa fik’barakallah.

Pour soulager les victimes de la guerre en Syrie

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