Les Rohingyas sont une ethnie musulmane birmane, qui est considéré par l’ONU comme l’une des communautés les plus persécutées au monde. Le collectif HAMEB a décidé d’agir. Nordine Errais du collectif m’a accordé un entretien afin de m’expliquer la situation et ses différentes actions qu’ils entreprennent.
Jack : Salam aleykoum, peux-tu te présenter ainsi que ton association ?
Nordine : Wa ‘Aleykoum salam. Je m’appelle Nordine Errais, je suis le président, cofondateur de l’ONG HAMEB qui vient en aide au Rohingyas. Une ethnie musulmane Birmane, présente dans l’état de l’Arakan, à l’ouest de la Birmanie, persécutée par le régime birman depuis des décennies. J’ai commencé à m’intéresser à cette situation en 2012. Pour la première fois, on a su ce qu’il se passait en Birmanie. Je suis tombé sur un article avec un lexique un peu « bizarre » : cela parlait de minorité musulmane birmane persécutée, nettoyage ethnique, génocide, 200 morts… Au début, je croyais que cette information venait d’un site satirique, j’étais étonné que l’on n’en parle pas, car c’était un problème assez grave au vu des termes employés pour qualifier ce drame. En allant sur Facebook, j’ai vu une autre personne sensibilisée, et suite à une manifestation organisée sur le Trocadero, nous avons voulu avec d’autres personnes ne pas en rester là. Des manifestations, cela ne suffit pas, il fallait des actions coordonnées, structurées et utiles. Et de là est partie notre association. On a commencé à se documenter et constater que le problème était plus complexe qu’il en avait l’air. On a pu constater une ignorance au sujet des Rohingyas et de leur situation par les gens que nous rencontrions, que se soient dans les mosquées, nos proches… On a tout d’abord commencé par des conférences publiques. Aujourd’hui, après 5 ans d’activité, on a donné une cinquantaine de conférences en France, mais aussi en Belgique, en Suisse et avons développé l’association en 3 pôles : sensibilisation, médiatique et humanitaire. Aussi, nous avons dorénavant des antennes HAMEB en Belgique, en Suisse et en Malaisie.
Notre association est l’une des seules à agir sur tous les fronts : sensibiliser, interpeller les pouvoirs publics, informer à travers d’articles mis à jour quotidiennement et action humanitaire sur place. Construction d’école en Birmanie, orphelinat en Malaisie…
Nordine Errais
Jack : Les Rohingyas sont considérés comme l’une des minorités les plus persécutées au monde selon l’ONU. Pourquoi ils ne sont prioritaires dans l’aide humanitaire, voire une intervention des casques bleus ?
Nordine : comme tu viens le dire, c’est l’une des minorités. Il y a d’autres minorités persécutées dont l’ONU doit aussi s’occuper… Mais le problème est bien plus complexe. Les rapports de l’ONU qualifient le massacre de nettoyage ethnique, pour ne pas dire génocide. Car le terme génocide renvoie à une définition juridique qui implique des responsabilités civiles, juridiques, politiques… Pour qu’il y ait une intervention des casques bleus, il faut que le Conseil de sécurité approuve l’intervention par plusieurs processus. Il y aussi le fait que la Birmanie a montré des signes d’ouverture depuis 2011. Auparavant, c’était un pays renfermé sur lui-même, comme la Corée du Nord. On ne savait pas trop ce qu’il se passait à l’intérieur, un pays hors système. L’ancien président birman a fait une tournée internationale pour montrer des signes d’ouverture, il a fait un appel d’offre pour développer son pays. La Birmanie est un pays où tout est à faire en terme infrastructure et a de nombreuses ressources en bois, pétrole, minerais… Afin de ne pas avoir un marché qui leur échappe, l’Union européenne a levé l’embargo économique pour pouvoir y investir.
« On a fait des concessions sur les droits de l’homme pour des intérêts économiques et de profits ».
D’ailleurs lors de la venue du président birman en France en 2013, nous étions une délégation à avoir été reçu au ministère des affaires étrangères par le représentant de l’ONU d’Asie du Sud-Est. Dans son discours, on sentait qu’il récitait son cours. Il nous a dit qu’il suivait le dossier, alors qu’il n’y pas de bureau de l’ONU en Birmanie ! Aussi que l’OCI, l’organisation de la coopération islamique s’occupait de cette affaire. Et la France dans ses principes de laïcité ne veut s’immiscer dans un conflit ethnico-religieux. Ne rentrons pas plus dans les détails…
Jack : Que font les pays limitrophes, dont certains comme le Bangladesh et le Pakistan sont à majorité musulmane ?
Nordine : pour le Bangladesh qui est le pays limitrophe de l’état d’Arakan, la première ministre a clairement dit que les Rohingyas n’étaient pas son problème. Le Bangladesh étant un pays sous dévelloppé, il ne peut accueillir la misère de son pays voisin, dont sa dirigeante estime que c’est à eux de régler le problème. Si au moins le Bangladesh recevait de l’aide pour faire face à l’afflux de réfugiés, ça permettrait à ces exilés démunis d’avoir de meilleurs traitements. Mais ce qu’on peut reprocher au gouvernement Bengali, c’est de ne pas respecter les droits humains envers le Rohingyas. La police commet des exactions à leur encontre et il y avait le projet de carrément les transférer sur une île, et sans ressources ! on ne peut attendre de fraternité musulmane de la part du gouvernement, car la politique menée au Bangladesh est laïque, nationaliste, pro-hindoue, dont l’Inde influence grandement. Par exemple, le parti jam’aa islamya au Bangladesh est sans cesse poursuivi, car il prône le retour d’un pouvoir islamique, soit l’exacte contraire de la politique du gouvernement actuel. Concernant la population, nous devons faire attention dans l’aide que nous donnons au Rohingyas, et c’est même eux qui nous disent de prendre nos précautions, afin de ne pas susciter jalousie, par peur de représailles en retour.
Jack : justement, est-ce que cela ne vous cause pas de problème envers-vous même de ne pas pouvoir aider les Bengalis aussi ?
Nordine : oui, d’un côté, on aimerait les aider aussi, c’est humain. Le problème auquel on est confronté, c’est que lorsque nous faisons un appel au don, nous le faisons au nom des Rohingyas, pour leur cause. On ne peut pas s’amuser à faire ce qu’on veut par respect et honnêteté vis-à-vis de nos donateurs. Nous faisons attention dans l’utilisation de l’argent pour ne pas créer un problème en essayant d’en solutionner un autre.
Jack : à combien estime-t-on la population et les réfugiés Rohingyas ?
Nordine : Il n’y a aucun chiffre officiel, car il n’y pas de recensement. En 2015, la Birmanie a refusé de les recenser, car elle considère qu’ils ne sont pas des Birmans. Il ne faut pas oublier que c’est la population apatride la plus nombreuse au monde ! On estime à 1.3 millions de Rohingyas dans le monde. Le problème, c’est qu’il y en a dans beaucoup de pays, mais ils ne sont pas considérés.
« Dans des nombreux pays asiatiques, ils sont vus comme des gens sales. En Thaïlande par exemple, on les met en détention, il y a même un marché d’esclave au nord de la Thaïlande, du trafic d’organe et on a même découvert un charnier ! »
Jack : qu’en est-il de la Malaisie vu comme une référence par les musulmans ?
Nordine : la Malaisie traite relativement bien les Rohingyas, elle les laisse tranquille, mais ne leur accorde pas de statut juridique qui les protègeraient quelque part. Ils ont un statut de réfugiés donné par le bureau des Nations Unies, l’UHCR en Malaisie, mais qui est très restrictif. Ils ne peuvent pas aller à l’école publique, ont des problèmes pour travailler… C’est pour cela qu’on est en train de créer un orphelinat et une structure éducative là-bas.
Jack : Est-ce qu’on sent la solidarité de la oumma qui arrive à se transcender avec ses valeurs ?
Nordine : déjà entre nous en France il y a beaucoup à faire. Ensuite, aucun pays musulman ne se base réellement sur une législation islamique. Mais on retrouve de la solidarité au cas par cas et par des associations caritatives. En Malaisie, on a l’ONG Mapim qui fait un gros travail envers les Rohingyas, et qui intervient aussi en Palestine, Syrie… Leurs membres ont même été assiégés en Birmanie lors d’une mission humanitaire. Ils sont aussi soutenus par le gouvernement malaisien. La Malaisie fait en sorte d’entretenir son image de pays modèle envers les autres pays musulmans. La population locale nous a aussi aidés afin que l’on puisse construire l’orphelinat. Cela nous a été grandement utile. A la différence du Bangladesh où on a clairement eu une mauvaise expérience. Nous devions à la base construire notre orphelinat là-bas, mais les autorités nous ont bloqués pendant 6 mois et n’ont pas voulu nous donner les autorisations nécessaires sous prétexte que cela causerait un appel d’air, au final, le projet n’a pu aboutir et cela nous fait perdre des mois. On sait bien que leur législation prime sur notre bon vouloir que ce soit au Bangladesh, en Birmanie, on se plie à leurs règles, on n’est pas là pour créer des troubles.
Jack : lorsque que le moine bouddhiste birman Wirathu dit qu’il vaut mieux épouser un chien qu’un musulman, est-ce que son peuple le croit ?
Nordine : c’est la première fois que l’on me pose cette question ! Mais je vais te répondre dans ce sens. Ayant été en Birmanie plusieurs fois, j’ai pu mesurer le climat social, local et ses rapports qu’ils ont avec les Rohingyas. Le bouddhisme nationalisme a une très grande emprise sur les Birmans. Le gouvernement est très lié à l’autorité religieuse qui s’appelle le Mabata, dont nombreuses lois sont voté sur proposition du comité suprême bouddhiste. La junte militaire a compris l’influence que pouvait avoir une propagande bouddhiste et on a fabriqué une pensée unique, une propagande dès le plus jeune âge dans le système éducatif et les médias. les Rohingyas ont été pointés du doigt, car ils ne partagent pas la religion d’état, ils sont physiquement différents avec un teint plus basané et sont vus comme des traîtres de la nation, on y reviendra plus tard sur ce point. Attention il y a une classe intellectuelle qui se rend bien compte que beaucoup de choses ne vont pas et voient bien toute cette manipulation, on a même des prisonniers politiques, c’est important de le dire. Il y a aussi des choses choquantes là-bas. Par exemple, le volant est à ta droite, mais on roule quand même à droite ! Le bus dépose les gens en plein milieu de la route, sans compter les nombreux accidents que cela causent. Et personne pour remettre en cause ces absurdités.
Jack : Ceci dit, il y a d’autres musulmans là-bas qui ne sont pas Rohingyas, comment cela se passe pour eux ?
Nordine : effectivement, les Rohingyas sont une ethnie à part entière, il existe 135 ethnies en Birmanie. On a une minorité musulmane là-bas qui s’appellent les Kamans, ce sont les anciens archers du royaume d’Arakan. Les Kamans ressemblent physiquement aux Birmans, à la différence des Rohingyas qui en plus subissent un racisme ordinaire de classe sociale. Les Kamans adoptent un prénom birman alors que les Rohingyas utilisent le plus souvent un prénom musulman, bien qu’ils aient également un prénom bouddhiste. A Rangoun, on a des mosquées qui cohabitent avec des pagodes depuis des siècles. Aujourd’hui, à cause de la crise des Rohingyas, il y a de la crispation, de la peur, et les Kamans se font discret pour ne pas que l’on s’attaque à eux aussi. Il y a eu aussi des commerces musulmans attaqués suite à une histoire inventée d’une moine bouddhiste qu’on aurait fait trébucher dans un commerce. Finalement, au-delà de l’ethnie Rohingyas, c’est bien à la religion musulmane que l’on s’attaque en Birmanie.
Jack : on parle d’exactions, mais on en oublie d’où ça a commencé tous ça ?
Nordine : en fait, il faut imaginer la Birmanie et cette partie de l’Asie différemment qu’il y a maintenant. Les problèmes actuels sont dus en partie au ravage de la colonisation anglaise. Auparavant, l’état d’Arakan était autrefois le royaume d’Arakan. Les Arakanais se sont islamisés par les flux migratoires des arabo-indiens musulmans qui faisaient du commerce. D’un côté, il y avait l’empire birman et de l’autre côté, le Bengale, un territoire immense couvrant le Bangladesh, le Cachemire et l’Inde. La colonisation britannique arrive et prend quasiment tous ces territoires, du Pakistan à la Birmanie. Les Britanniques ont ensuite administré tous ces territoires à leur façon. La région actuelle d’Arakan et le Bangladesh étaient sous leur total contrôle et les colons exploitaient les richesses de ce territoire, champs miniers et agricoles. les Rohingyas étaient justement utilisés pour ces travaux-là.
« Au nord de l’Arakan, il y avait les Birmans qui eux ne voulaient pas se soumettre aux anglais, ils étaient vus comme des résistants alors que les Bengalis et Rohingyas étaient vus comme des traîtres qui ont collaborés, avec une couleur de peau noir et une autre religion. Ceci dit, c’est un raccourci historique de dire ça : il y a eu du travail forcé, des persécutions et beaucoup de morts. »
Lors de l’indépendance de la Birmanie en 1948, le royaume de l’Arakan a été coupé en deux avec les frontières coloniales, une partie dans le Bangladesh et l’autre dans la Birmanie devenu l’état d’Arakan. Les Birmans disent que le territoire des Rohingyas est de l’autre côté, chez le voisin bengali, alors qu’historiquement, ils ont toujours vécu là ! En 1962, il y a eu un coup d’état du général Ne Win, fondateur de la junte birmane. Il va attiser les tensions entre les ethnies, diviser pour mieux régner comme on dit. Il va mettre en place une propagande Bouddhiste sous couvert de nationalisme pour stigmatiser les autres ethnies aux alentours. Les chrétiens dans le nord, les animistes, les musulmans…
Jack : en France la religion bouddhisme est vu une religion « peace », alors que ce n’est pas le cas là bas, et y a-t-il eu des condamnations de représentant comme le Daïla Lama ?
Nordine : nous, on n’est pas en train de mettre en frontal les religions, on ne veut pas rentrer dans ce débat. On sait bien que le bouddhisme a été instrumentalisé. Le bouddhisme est une religion de paix, pas de problème avec ça. Mais à la différence d’une religion comme l’Islam qui est institutionnalisé, avec un livre révélé, une jurisprudence, il y a une totale liberté dans le bouddhisme, il n’y a pas de texte fondateur, n’importe qui, qui s’agitent avec la parole peut se réclamer moine et bouddhiste, et on le voit bien avec le moine Wirathu qui arrive à influencer toute une population avec, faut le dire, un faible niveau de réflexion des Birmans, à qui on a fait subir un lavage de cerveau dès le plus jeune âge. On a eu des condamnations du Daïla Lama, il est d’ailleurs interdit d’entrer par la junte. Mais bon, il est un peu l’épouvantail que l’on agite lorsqu’il y a des problèmes…
Jack : Pour terminer, un mot sur Aung San Suu Kyi ?
Nordine : c’est dramatique, car beaucoup attendait un changement d’elle. Il n’y a rien qui a changé et on se rend compte qu’elle n’a pas réellement de pouvoir en Birmanie et que tout est verrouillé par la junte. Actuellement, elle est ministre des affaires étrangères. Déjà, elle ne peut pas devenir présidente, car la constitution veut que la personne aspirant à la plus haute fonction soit elle et sa famille 100 % birmane. Hors, elle s’est mariée à un Anglais et a eux des enfants avec, on lui a fait bien comprendre que c’est une chance qu’elle est ce poste. Aussi, la junte garde les ministères clés, la défense, l’intérieur, ils ont 25 % de sièges au parlement. De plus, il y a eu un accord passé avec Aung San Suu Kyi. S’il y a des menaces pour l’intégrité nationale, elle peut être destituée de ses fonctions et la junte reprend les pleins pouvoirs. Elle ne veut s’immiscer dans ce qui se passe dans l’état d’Arakan de peur que cela se retourne contre elle, et de se mettre à dos toute la population birmane. Dernier point important sur Aung Sang Suu Kyi : elle refuse les accusations de viols de masse, les arrestations, les meurtres et l’incendie des maisons par les forces armées. Elle renie ce qui a été documenté et attesté par de nombreux journalistes et des chercheurs indépendants, y compris l’ONU.Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a décidé le mois dernier d’envoyer une mission d’enquête en Birmanie pour enquêter sur les violences présumées. Le gouvernement, cependant, a repoussé l’initiative des Nations unies qui déclare que la mission envenimerait la situation.
Jack : barakallahoufik de cet entretien et de vos actions.
Nordine : wa fik barakallah.
Pour que le massacre des Rohingyas ne soit pas passé sous silence