Dernièrement, lors d’un séjour à Bruxelles, Abourayan, connu pour ses audio sur divers sujets, m’a accordé un entretien exclusif. L’occasion d’échanger sur la grande épreuve qu’il a subie, il y a quelques années.
Jacques : Salam ‘Aleykoum, pour commencer est-ce que tu peux te présenter ?
Abourayan : Wa ‘Aleykoum salam, je m’appelle Abourayan, parce que mon fils aîné s’appelle Rayan, je suis connu sous ce nom-là. J’ai 44 ans, bientôt 6 enfants, j’habite en Belgique depuis pas mal d’années. J’ai été incarcéré de 2014 à 2016, donc je suis en liberté depuis 2 ans.
J : est-ce que l’affaire est close ?
A : en ce qui me concerne, l’affaire est close, les autres protagonistes vont sortir en décembre 2018 inch’Allah, eux, ont eu des peines ferme contrairement à moi, qui n’avait rien à voir… Oui, l’affaire est close mais il reste toujours les séquelles, casier judiciaire, dette judiciaire…
J : il y a eu beaucoup de choses relevées dans ce procès, notamment, un certain Abou Jabir (travaillant pour les renseignements belges), a été le grand absent, est-ce que tu as eu connaissance de son implication ? Je précise que les grands médias, même Marianne en France, en ont parlé, c’est une information officielle…
A : c’est officiel, officieux… J’en ai parlé avec beaucoup de journalistes qui m’ont questionné là-dessus. Cela a l’air d’un dossier brûlant où personne ne veut vraiment se frotter pour des raisons qui m’échappent. Difficile d’émettre un jugement sans avoir tous les éléments, mais une chose est claire, je l’ai entendu lors du procès : il a eu des milliers SMS d’échanges avec les jeunes, il a emmené la plupart l’aéroport, il leur a acheté leur billet d’avion, il les a poussés lorsqu’il voulait changer d’avis. Donc il a été un incitateur clair envers les jeunes pour les envoyer en Syrie.
J : pour le compte de qui finalement, pour quel but il faisait cala ?
A : j’ai mon opinion personnelle, qui vaut ce qu’elle vaut, qui ne repose pas sur des faits prouvés. Mon opinion est très simple. De 2012 jusqu’à fin 2013, les Etats européens voyaient d’un bon œil que les excités, les islamistes partent mourir là-bas. On voit bien que jusqu’en fin 2013 il a eu carte blanche pour vider l’Europe de ses islamistes Quand on a vu qu’il y en a qui revenaient blessés, déçus, ou changeaient d’avis, qu’Obama n’a pas déclaré la guerre à Bachar el-Assad contrairement à ce qu’il avait dit… À ce moment-là, il y a eu un revirement politique, d’ailleurs Abou Jabir demandait qu’on l’appelle dorénavant Abou Ali, qu’on enlève son numéro de téléphone, il a eu en fait des nouvelles directives. S’en est suivi l’arrestation très rapide de Jean-Louis Denis et les autres, il y a eu une concordance de temps. Abou Jabir a ensuite disparu dans la nature, sa mission était accomplie
C’est ce dont il en ressort lorsqu’on a évoqué son cas au procès, qui d’ailleurs a failli être annulé à cause de cela, mais le juge a eu des pressions pour aller au bout, et tout le monde a eu une peine minimum. Pour ma part, on réclamait 12 ans, j’en ai eu 2, avec 3 ans avec sursis. Jean-Louis on réclamait 15 ans, il a eu 5 ans en appel.
J : en première instance, il a eu combien ?
A : il a eu 10 ans en première instance, en appel 5 ans. Ce qui est très rare dans les affaires de terrorisme. En général, la peine est plus lourde en appel.
J : qu’est que veut dire une peine minimum pour du terrorisme ?
A : en Belgique, ce n’est pas comme en France,le minimum quand tu as eu affaire à du terrorisme, en tant que participant ou sympathisant,c’est 5 ans.
J : Jean-Louis et toi payiez le fait d’être des personnages publics…
A : nous sommes très différents ceci dit. Lui, était sur le terrain, il fréquentait tous ces gens de ce milieu. Moi, j’ai été invité à un repas, ce qui m’a valu d’être arrêté. J’étais avec des gens que je ne connaissais pas, et il s’est avéré que c’était des gens actifs dans ce milieu. J’étais au mauvais endroit au mauvais moment.
J : est-ce la seule raison pour laquelle tu as été arrêté ?
A : non ce n’est pas la seule, d’après leurs analyses psychologiques, Jean-louis ne peut pas être un dirigeant, il doit y avoir un gourou au-dessus de lui, de fil en aiguille, ils en ont déduit que j’étais la tête de jean-Louis.
J : en faisant en enquête sérieuse, on voit bien que cela ne tient pas ?
A : ils l’ont fait. Cela a duré 2 ans. 2 ans de préventive !
J : Quel a été la réaction de ton audimat lorsqu’ils ont su que tu as été incarcéré ?
A : j’ai reçu du courrier, de la visite. J’ai été agréablement surpris, parce que ça fait quand même peur d’écrire à quelqu’un qui est en prison pour ce motif-là.Le rendre visite, encore pire. il y a eu quand même des gens, subhan’Allah. Beaucoup ont cru que j’étais un bouc émissaire, et qui avait de la sympathie à mon égard, tout n’est pas noir, il y a des personnes qui ont une certaine fraternité.
J : Quel a été la réaction des représentants de l’Islam en Belgique ?
A : aucune prise de position de leur part, ils ne connaissent pas les dossiers, ils laissent faire la justice, les avocats… Je ne sais même pas si c’est un sujet de préoccupation pour eux. Il faut voir que Jean-Louis était souvent en confrontation avec eux, c’était limite bien fait pour lui.
J : est-ce qu’on te fait payer aussi des prises de positions publiques avec tes audio ?
A : d’après mes avocats, pas forcément. Je suis très communicatif. Par exemple, j’ai collaboré au livre de David Thomson, en donnant mes avis personnels sur la question du djihadisme. Mes audio touche un public qui n’est pas forcément sensible aux discours liés à l’Islam, un audimat plutôt new âge, altermondialiste, le discours purement religieux ne les intéresse pas, c’est des réflexions philosophiques, assez poussées.
Ils ont cherché des motifs pour m’inculper, mais à chaque fois cela buté sur une impasse. Par exemple, j’avais pris un billet d’avion à l’aéroport, ils ont cru que c’était pour un jeune qui aille en Syrie, en fait c’était pour moi, pour que j’aille voir ma grand-mère à Rome. J’avais un article sur Fukushima, ils ont cru que j’avais des vues sur les centrales nucléaires. Auparavant, j’archivais beaucoup de documents, sur la guerre d’Irak… A titre informatif, pour ma culture générale, non par admiration. Mais après, il faut justifier tout cela. Comme je leur ai dit, on peut avoir Mein Kampf sans être nazi ! Cette histoire de Fukushima a fait prolonger ma peine de 6 mois de préventive, à 2 ans. J’avais déjà été libéré 2 fois, et on me remettait en prison !
« Ce qu’il faut comprendre avec la justice, le parquet, la police. Il ne cherche pas des coupables, ils cherchent des dossiers sur lesquels on peut s’appuyer. Si tu as quelqu’un à moitié coupable avec qui on peut lui faire un dossier, c’est beaucoup plus intéressant qu’un coupable, où on ne pourra pas faire de dossiers. »
J : comme cela s’est passé avec vos avocats ?
A : les avocats étaient très embêtés. On était l’un des premiers procès pour terrorisme. Les affaires plus graves sont arrivées après. Jean-Louis était très connu, il passait à la télé, à la radio… Je m’étais préparé mentalement à une lourde peine injuste, avec, en plus, l’actualité qui s’aggravait de jour en jour pendant que j’étais en détention.
Aussi, j’ai eu une attitude respectueuse, polie, mais où j’affirmais mes positions, c’est ce qui m’a servie aussi. Je n’ai pas eu une attitude de victimisation ou d’arrogance, qui n’est généralement pas appréciée les juges.
J : La culture latine, de la parole, de l’apparence, compte beaucoup aussi en Belgique dans un procès ?
A : Oui, énormément, plus que le dossier et les preuves, c’est surtout l’impression que dégage la personne qu’ils ont devant en face d’eux qui comptent. Un exemple : dans notre procès, il y avait deux personnes qui avaient exactement le même dossier, les deux sont partis pour la Syrie et sont revenus. Mais il y a en a un qui a eu 2 ans avec sursis, et l’autre 5 ans ferme pour les mêmes faits ! Pourquoi ? Y en a un qui disait : oui, je suis partie, j’ai voulu aider, je regrette, j’ai repris des études… Tandis que l’autre disait : je ne sais pas, je n’ai pas envie de vous dire… Il faut avoir un discours clair et honnête en face de la justice
J : est-ce qu’on peut dire que malgré tout, il y a une forme de justice ?
A : pour ma part je n’ai pas été clairement acquitté, parce que sinon cela s’accompagnait d’indemnisations lourdes pour mes 2 ans d’incarcération.
« Au contraire j’ai eu une condamnation, et une amende ! Ils m’ont donné le minimum, mais condamné. »
J : tu as évoqué Jean-Louis, qui l’un des protagonistes principales de l’affaire, de quoi l’accusait-on réellement ?
A : Il avait une association humanitaire qui aidait les nécessiteux, mais suite aux pressions de Sharia4belgium d’Anvers, qui l’accusait d’aider tout le monde, les alcoolos, toxicos, ils l’ont poussé à réorienter son association plus religieuse, il faisait de plus en plus de la prédication en distribuant des tracts aux sorties des mosquées, dans la rue… Jean-Louis était sensible aux critiques, il s’est embarqué dans quelque chose qui le dépassait. Les journalistes venaient, il leur disait « c’est Allah qui choisit son armée pour le Sham… »
Après Jean-Louis, c’est Jean-Louis, il vit la prison comme une expérience prophétique comme le Prophète Youssef (paix sur lui). Sans amertume, ni esprit de revanche.
Suite de l’article sur l’épreuve de la prison ici