Suite et fin de l’entretien, où cette fois-ci on a échangé sur des sujets en général, sur la géopolitique et sur la communauté musulmane.
J : est que tu penses que les djihadistes en Syrie sont les Khawarij ?
A : il y a eu beaucoup de discussion sur ce sujet. Ce qui est serait le plus conforme pour les désigner est qu’ils seraient plutôt des ghulats takfir, dans l’exagération du takfir. Ils te sortent de l’Islam de manière exagérée, quelqu’un qui vend des cigarettes se retrouve avec la main coupée.
C’est une mentalité que je connais bien, qui est très exclusive, basée sur la non-acceptation que la masse musulmane est acculturée et mal éduquée, et ensuite vouloir de suite, demain, que les rues algérienne et syrienne soient tip-top. Ces gens dans ces pays sortent de 50 ans de nationalisme, de baasisme. Et comme ils sont dans l’impatience et le jugement rapide, cela se termine par une foule hostile à leurs agissements qui les voit comme des tyrans, tout le monde a peur, on se retrouve dans une ambiance de tyrannie, dans une société totalitaire.
J’ai eu un témoignage d’un vieux monsieur algérien en prison, revenu de Syrie, qui m’a expliqué le quotidien : T’as des gamins de 18 ans qui te pointent l’arme en te demandant si tu as bien prié, passeport réquisitionné, jugement arbitraire sur des rumeurs sans témoin.
J : comment ces jeunes de 18 ans intègrent ce logiciel ?
A : on donne des responsabilités à des jeunes qui sont des ex délinquants, ont leur donne une Kalashnikov, un pick-up, ils sentent qu’ils ont du pouvoir.
« Ce qu’il savoir aussi, c’est que beaucoup d’étrangers, dont des Français, ont fini en prison chez Daesh pour extrémisme ! Il y a les durs des durs. »
J : aurait-ont pu croire en tant que musulman à ce califat ?
A : Non. En Islam il y a des règles, on ne prête allégeance à un calife qu’on ne connaît pas, c’est qui, il est où d’ailleurs ? On en parle jamais, il est apparu au début, et on ne l’a plus revu. Ben Laden, tout le monde le cherchait, Baghdadi, il est hormis son prêche sur son minbar, plus rien, personne n’a l’air de s’en occuper, c’est bizarre, non ? Les médias occidentaux nous les ont montrés comme un véritable état avec de super vidéos, des communiqués sur Internet, mais ce n’était que quelques gars derrière des PC, c’était complètement amateur.
J : On nous a fait croire que c’était des productions hollywoodiennes…
A : je ne veux pas être dans le complot, mais des fois j’ai l’impression qu’il y a des ennemies qu’on aide à émerger. Bachar (El-Assad) avait libéré les terroristes, il les laisse passer pour attaquer HTS, mais il y a eu clairement un consensus pour faire de ces groupes une espèce de baudruche, ils sont nombreux, ils sont partout, ils vendent du pétrole à la Turquie… Avec du recul, c’est un groupe faiblement armé, surtout quand on voit l’armement des grandes nations, cela paraît hallucinant. Daesh avait juste quelques armes, des chars, des drones, alors que le monde entier a avions de chasse, bombes à fragmentions, lasers… c’est un non-sens. Mais comme je dis toujours, cela ne me regarde pas.
Ce qui me met souvent hors de moi, c’est que le sujet de Daesh en France prend tellement d’importance, alors qu’il y a des milliers de sujets comme les particules fines, la malbouffe, l’alcool… qui font des milliers de morts ! Mais non là avec un sujet flashy, Daesh est une goutte d’eau dans un océan de drame. On accepte des génocides au nom des passions.
J : j’ai beau avoir beaucoup déménagé pendant 10 ans dans le 93 et dans le Nord de Paris, je n’ai pas spécialement croisé de Khawarij, djihadistes, est-ce qu’ils sont plus présent en Belgique ?
A : ils ne vont pas le crier dans les rues « je suis takfiri ! ». Les temps ont changé aussi, auparavant il y a eu des groupes comme en France avec Forzane Alizza. Il y a eu une volonté de laisser ces groupes évolués. On laisse un spot, et on voit les papillons évolués autour. Cela permet à la police de monter des dossiers. C’est intéressant pour les autorités d’avoir quelques groupes et de voir qui évoluent avec eux. Quand on voyait Forzane Alizza piétiner le Code pénal, c’était des enfantillages, on laisse faire leur spectacle, ensuite on les arrête, et le chef a quand même pris 9 ans de prison.
J : que penses-tu de Salah Abdesslam qui garde le silence ? A : je n’approuve pas ce choix. Pour moi il devrait avoir deux positions. Ou dire : « voilà nous sommes en guerre, c’est un acte que j’estimais que je devais faire, je suis un soldat du califat, j’assume, à vous de décider de ma peine. Ou bien : « j’étais un peu paumé, Abaaoud m’a monté la tête, une fois que j’ai réalisé, j’ai enlevé mon gilet, je me suis enfui… Mais s’expliquer !
Un moment, je pense que le mieux pour gérer les takfiris, en Europe, mais surtout dans les pays musulmans car c’est là-bas qu’ils sont le plus nombreux, qu’il faudrait les mettre dans une sorte de kibboutz, s’occuper de la terre, de chevaux, qu’ils se sentent utiles dans des choses réelles. Ces gens étaient dans un monde virtuel. Enfermés dans la prison, à l’isolement, ils n’apprennent rien, que va-t-on obtenir ? Qu’est que ça va être quand ils vont sortir surtout pour ceux qui ont eu des « petites » peines ?
J : les discours ont aussi changé dans les mosquées…
A : ceci dit, j’ai longtemps cru qu’il fallait des discours clairs, politisés, engagés. Mais à l’usage, j’ai compris, et là on en revient aux ghulat takfir, que c’est très dangereux de venir avec le sujet du Tawhid – qui est primordial – sans une purification du cœur. Si tu viens avec un cœur orgueilleux, cela devient contre-productif. J’ai toujours pensé qu’un bon mix, c’est le livre « Kitab at-Tawhid » de Mohammad Ibn ‘Abd Al-Wahhâb, et « Le livre de l’Amour » de Ghazali. Soit on a des gens trop dans le cœur qui rentre dans le shirk, le culte des Saints, des femmes imams… ou certains trop durs avec des discours : « craint Allah », et les gens se taisent par peur. Il faut vouloir obéir à Allah par amour. On est trop resté dans discours technique, et la barbe, et la musique, le jilbeb… Sans avoir le cœur de conquis, il est toujours dur. On obéit parce que le frère nous l’a dit sans être apaisé.
J : on échange souvent entre musulmans, sur le renouveau de l’Islam… Qu’est il faudrait faire pour toi ?
A : Allah a demandé qu’on soit des messagers à notre petit niveau, avec nos proches, nos familles… Et que les résultats lui appartiennent. Il faut qu’on soit des bons représentants. Allah fait ce qu’il veut, on voit qu’il y a un homme d’extrême droite qui s’est converti. On revient de loin aussi, il y a un renouveau de l’Islam, on parle de toute ce qu’il y a autour, sans parler d’une voie juste milieu qui évolue.
Plus le temps passe, plus j’ai compris que les changements n’interviendront pas par le visuel mais de l’intérieur : le djihad an-nafs. On va d’échec en échec avec l’Islam politique, en Algérie, Irak… Des milliers de morts, avec des générations dégoûtées à vie. La religion et la politique, toujours délicat. Il faut avoir un désir réussite et de changement personnel pour de petites choses, son changement comportemental, avec ses proches, dans la nourriture, éduquer ses enfants hors de la folie ambiante, aller au contact de la nature, voir les animaux, vivre à la campagne, ce n’est que des gouttes d’eau, mais les coups d’éclat n’ont rien donné pour le moment…
Les attentats actuels ne font que le jeu de ceux qui ont besoin de nourrir la machine islamophobe médiatique et politique.
Soyons étrangers à la politique, au cirque d’Attali et BHL, qui ont leur propre agenda, pourquoi faire croire que le musulman en votant sera reconnu, et qui doit le faire pour le bien de la oumma, alors que déjà la moitié des citoyens français se désavouent des élections ! Pourquoi faire semblant de jouer ?
J : as-tu déjà pensé à écrire un livre ?
A : on me l’a déjà proposé, mais j’ai un peu du mal, car les idées évoluent, mais les écrits restent, ce que je pensais en 2008 n’est pas la même chose de maintenant. L’imam Ahmad Ibn Hanbal ne voulait pas qu’on écrive ses fatwas, car il les a donnés dans un contexte donné. De plus, le côté commercial : « achetez mon livre, il est bien… » me rend assez mal à l’aise, surtout sur des sujets de la religion.
J : est-ce que ton discours a évolué avec le temps ?
A : il a beaucoup évolué avec le temps, avec les voyages, les fréquentations… Avant j’étais critique au peuple assujetti à un gouverneur, un prédicateur, un roi… mais j’ai compris qu’on a les dirigeants qu’on mérite, car le peuple aiment ça et veut ça ! J’ai compris aussi qu’il faut travailler les musulmans à la base, cela va prendre peut-être 30 ans, mais faut essayer d’aller à contresens, être anticonformisme.
« Ce que j’ai compris aussi, c’est qu’on est toujours le laxisme ou l’extrémisme de quelqu’un. »
Beaucoup m’écrivent en privé pour me dire qu’ils préféraient mes discours d’avant. Pourquoi ? parce qu’avant, j’étais plus blanc/noir, de 2008 à 2010 environ, j’avais beaucoup plus d’audimat, les gens préfèrent, le niveau est de plus en plus bas malheureusement, quand c’est fouillé, qu’il faut de réflexion, les gens sont moins à l’aise, ils veulent du sensationnel, du clash. Mais ce n’est pas l’audimat qui dicte mon opinion, on fait les choses pour Allah.
J : est que tu n’aimerais pas que tes audio touchent plus de monde, est-ce que ce n’est pas dommage que la critique l’emporte souvent sur le fond ?
Il ne faut pas sous-estimer l’impact. 50 personnes, qui après vont en parler autour d’eux, cela commence à faire du monde. Même si j’ai convaincu 1 personne c’est bien, le plus important c’est que j’ai fait passer mes idées, c’est quelque chose de personnel que je veux partager, et comme je l’ai dit, je ne fais pas les choses en fonction de ce que veulent les personnes, sinon ce n’est pas intéressant et pas sincère.