Punk et Islam. A priori, ce sont deux mots qui ne vont pas ensemble. Et pourtant, il existe un sous-genre musical, où des jeunes ont créé une culture où allient la foi musulmane et la musique punk.
Voici un résumé qu’on peut trouver sur Internet concernant cette musique : « Le taqwacore est un sous-genre de punk en rapport avec l’Islam et sa culture. Le terme est initialement utilisé par l’écrivain américain Michael Muhammad Knight dans un roman intitulé The Taqwacores. Il s’agit d’un mot-valise qui regroupe le punk hardcore et le mot arabe taqwa, qui peut se traduire par l’expression «vivre la piété» et qui dénote à la fois d’une peur et d’un amour du divin. Il n’y a pas encore de son définitif au taqwacore, les artistes se revendiquant du genre jouant divers genres de musique variant du punk au hip-hop. »
Essentiellement jeunes et dans le monde Anglo-saxons
le Taqwacore est majoritairement présent aux Etats-Unis et dans les pays anglophones, et pas vraiment dans les pays arabo-musulmans. C’est pourquoi les groupes du mouvement chantent souvent en anglais. Dans les années 1990, les groupes de Nation Records Fun-Da-Mental et Asian Dub Foundation émergents solidifient la première génération punk musulmane britannique. Dans une interview, Aki Nawaz, fondateur de Nation Records, explique que « l’Islam pour moi c’est plus punk que le punk. »
La démarche taqwacore s’inscrit au sein d’une communauté musulmane américaine relativement jeune. En effet, selon le Pew Research Center, 77 % des musulmans américains ont entre 18 et 49 ans. Les taqwacores peuvent être définis comme une subculture en rébellion contre la culture musulmane américaine dominante. Dans une Amérique toujours sous le choc après les évènements tragiques du 11 septembre 2001, les taqwacores mettent l’accent sur les questions d’identité, d’islamophobie et sur ce qu’ils perçoivent être de l’obscurantisme religieux.
Groupes aux origines diverses
La question de l’identité musulmane américaine se pose de manière tout à fait particulière pour les taqwacores. La communauté taqwacore est en effet constituée de membres venant d’horizons divers, issus de l’immigration, de la communauté afro-américaine, ou encore des conversions à l’islam. Selon le Pew Research Center, les musulmans représentent aujourd’hui environ 0,6 % de la population américaine et ont des origines ethniques variées. Ainsi, si 24 % des musulmans américains sont issus de la communauté africaine-américaine, l’immigration des cinquante dernières années – depuis le vote de l’Immigration Act and Nationality Act de 1965 abolissant les quotas – a permis à de nombreux musulmans originaires du Moyen-Orient, notamment de la Palestine et du Liban, de s’installer aux États-Unis. Les immigrés musulmans qui sont arrivés aux États-Unis dans les années 1960 ont été confrontés à la contre-culture de cette époque, au désir de liberté et d’indépendance de la jeunesse américaine des années 1960 et 1970. Parmi ces immigrés figurent les parents de certains taqwacores qui, ayant eux-mêmes vécu l’expérience de la contre-culture, même sans y prendre part, sont en mesure de comprendre les revendications de leurs enfants. Même s’ils ne soutiennent pas nécessairement les choix de leurs enfants taqwacores, ils ne s’y opposent pas non plus.
À travers leur musique, leurs opinions et leurs déclarations publiques, les taqwacores ont progressivement mis en place leur propre communauté. Michael Muhammad Knight, fondateur malgré lui de la scène taqwacore, souligne que ces derniers sont « a minority within a minority » (Majeed, 2009). Les taqwacores, appartenant pour la plupart à la deuxième ou troisième génération d’immigrants ont grandi aux États-Unis. Ils restent néanmoins souvent culturellement attachés au pays d’origine de leur famille, le Pakistan par exemple, où sont nés les parents de certains taqwacores, notamment les parents des Kominas. La scène taqwacore est ainsi imprégnée de deux cultures – la culture américaine et la culture du pays d’origine – qui s’entre-croisent. Elle s’inscrit dans le cadre de l’histoire culturelle, sociale et musicale américaine, et donc de la contre-culture des années 1960 et 1970, dont l’audace et le non-conformisme servent de modèle.
Les enfants terribles de L’Islam américain
Les taqwacores sont souvent perçus comme des agitateurs, tout comme l’étaient les premiers punks des années 1970. Stephen Colegrave et Chris Sullivan, spécialistes du punk, expliquent que « pour la plupart des gens, le punk représentait [dans les années 1970] une opportunité de penser par eux-mêmes et de remettre en question les préjugés et l’élitisme des générations précédentes » (Colegrave et al., 2005). Dans le contexte de l’après 9 septembre 2001, les taqwacores réactualisent cette revendication et l’expriment en musique. Au premier abord, l’association entre islam et rock punk semble difficile, d’autant plus que la compatibilité même entre islam et musique est toujours débattue. Nombre de spécialistes, cheikhs, voient cette association comme dangereuse et interdite par le Coran. « Music is haram in Islam » (« la musique est interdite dans l’islam », sous-entendu, dans le Coran) proclame avec force l’imam de la mosquée de Lowell, dans le Massachusetts, quand Basim Usmani et Shahjehan Khan des Kominas abordent ce thème avec lui. « There is no Sheikh, there is no imam. There isn’t anyone who has a higher authority than you are in Islam », lui répond Basim Usmani. Les taqwacores jouent de cette potentielle opposition entre islam et rock punk pour frapper les esprits. Marwan Kamel, du groupe Al-Thawra explique :
- « The thing is, punk rock doesn’t fucking shock anybody here anymore. Just by even looking at punks, you’re not scared anymore, right ? But when you combine it with something like… you know terrorism scares people a lot… Arabs, because they’re so different, Muslims, because they seem so exotic to people. When you combine that with punk rock, you’re recharging punk rock to make it shocking again. »
Punk ou mainstream ?
Il existe un décalage entre l’image de la contre-culture et la réalité des faits. Il en va de même avec certains taqwacores qui, malgré leur message d’ouverture et de d’universalité de leurs opinions, restent ancrés dans un particularisme dans lesquels ils se replient. La communauté taqwacore utilise un système de codes et de références uniquement compréhensibles par un public initié et utilisés, dans le roman de Knight, comme dans l’adaptation cinématographique qui en a été faite et dans le documentaire d’Omar Majeed.
Ainsi, le message universel de tolérance et de liberté des taqwacores semble quelque peu entaché d’un particularisme qui refuserait d’ouvrir cette communauté à tous. Le punk lui-même n’a jamais vraiment prôné d’ouverture vers le mainstream, refusant au contraire une quelconque assimilation avec des styles musicaux plus populaires. Ce refus d’ouverture sur le mainstream est important pour comprendre les nouvelles directions prises récemment par certains groupes taqwacores, dont le plus célèbre, les Kominas.
Ces derniers ont en effet récemment changé de style, en s’éloignant peu à peu de leur punk originel, comme dans les chansons « Choli Ke Peeche » ou « Manji Vich Daang »dont des versions ont étéenregistrées dans les studios de la chaîne BBC. Cette nouvelle direction prise par le groupe conduit à deux interprétations. On peut la considérer positivement comme une ouverture vers un plus large public, et ainsi vers une plus grande reconnaissance et acceptation de leurs sujets de revendication. D’un autre point de vue, il s’agit aussi de considérer l’autre volet de cette ouverture, à savoir que les Kominas seraient en train de compromettre l’héritage du punk. En effet, ces derniers arborent désormais un style vestimentaire plus sage, leur utilisation de phrases et de paroles choc est moins récurrente et les Kominas leur préfèrent désormais des reprises de chansons traditionnelles pakistanaises.
Ce phénomène entraîne deux conséquences majeures : la désapprobation de certains autres groupes taqwacores et l’ouverture vers un plus large public. Dans un courrier électronique du 24 mai 2011, Marwan Kamel du groupe Al-Thawra regrettait de voir les Kominas effacer les propos politiques de leurs chansons afin de les rendre plus conventionnelles. Il leur reproche également d’utiliser certains thèmes sujets à controverse, comme le terrorisme ou la charia afin de faire parler d’eux, mais sans aborder de sujets plus politiques comme la crise en Palestine ou la recherche d’identité des jeunes musulmans américains. Pour Marwan Kamel, l’engouement pour la communauté taqwacore peut disparaître aussi vite qu’il est apparu26. Les taqwacores, dans leur avancée vers le mainstream, participeraient alors à un affaiblissement de leur dimension contre-culturelle. L’argument semble recevable, mais il est important de comprendre que cet esprit devenu quasi-mythique de la contre culture des années 1960 et 1970 est lui aussi en quelque sorte, devenu mainstream. En effet, écouter The Stooges, Jimi Hendrix, ou les Sex Pistols est devenu quelque chose de commun et ne choque plus vraiment. La contre-culture des années 1960 et 1970 est entrée dans notre quotidien et même si nous reconnaissons aujourd’hui la formidable expérience humaine, politique et culturelle qu’elle a pu provoquer et construire (Farber 1994 ; Gitlin 1987), elle est devenue relativement commune pour les sociétés occidentales actuelles.
Article inspiré par Taqwacores: Birth of a Muslim-American Counterculture